> Je m'appelle Victoria Halimi
je suis architecte diplômée d'état.
Je fais de la photographie et de la vidéo.
Je vis et travaille à Paris.
Celle qui a été dévorée
> LIVRES
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« Tire la chevillette, la bobinette cherra. »
Le petit Chaperon rouge tira la chevillette, et la porte s'ouvrit.
Le loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher avec moi. »
Le petit Chaperon rouge se déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé. Elle lui dit :
« Ma mère-grand, que vous avez de grands bras !
— C'est pour mieux t'embrasser, ma fille.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes !
— C'est pour mieux courir, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !
— C'est pour mieux écouter, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux !
— C'est pour mieux voir, mon enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents !
— C'est pour mieux te manger. »
Et en disant ces mots, ce méchant loup se jeta sur le petit Chaperon rouge, et la mangea.
Celle qui a été dévorée se jura que jamais plus elle ne quittera le chemin pour courir dans les bois.
Texte : extrait du Petit Chaperon Rouge de Charles Perrault
victoria h.
Oostende, gris-vert
Madeleine
Série Photographique, 20XX
Celui qui est né deux fois
Série Photographique, 2019
« J'ai fait un rêve cette nuit. J'ai rêvé que j'étais mort. Mais je voyais, ou plutôt je sentais tout ce qui se passait autour de moi. Je sentais que Lara était à côté de moi, ainsi que quelques amis. Je me sentais sans force, sans volonté, et juste capable d'être le témoin de ma mort, de contempler mon cadavre. Et surtout, je ressentais dans ce rêve quelque chose d'oublié depuis longtemps, une sensation perdue – que ce n'était pas un rêve, mais la réalité. Cette sensation était si forte que du fond de mon âme montait une vague de tristesse et de pitié envers moi-même ; un sentiment esthétique. Quand on a ainsi la compassion de soi-même, c'est comme si son malheur était celui d'un autre, comme si on le regardait de l'extérieur et qu'on le jaugeait, comme si on se sentait au-delà de la vie passée. Et que celle-ci était comme la vie d'un enfant dénué de toute expérience, sans défense. Le temps cesse d'exister, la peur aussi. On pressent l'immortalité. Je voyais les gens qui s'agitaient autour, émus par ma mort.
Et puis j'ai ressuscité. Mais personne ne s'en est étonné. »
Celui qui est né deux fois s'est vu mourir et renaître.
Texte : Andreï Tarkovski, extraits de Lumière instantanée (éditions Philippe Rey, 2004)
Je m’intéresse aux histoires. Aux contes, aux fables et aux mythes. Mais aussi aux récits religieux qui sont, à mes yeux, des légendes contées par des prêcheurs convaincus.
Il y a aussi les œuvres (romans, pièces de théâtre, chansons, peintures, films,...) créatrices de personnages devenus noms communs, qui se chargent avec le temps d’une portée et d’une stature toujours plus grandes. Au même titre que les figures religieuses ou mythologiques, les Don Juan, Tartuffe, et autres Gavroche... alimentent la galerie des représentations symboliques de modèles universels : les archétypes.
Qu’elles prescrivent une attitude morale, une sagesse a imiter (rôle des mythes, religions et fables) ou, au contraire qu’elles invitent à une exploration de nos conflits intérieurs et de nos ressources pour les résoudre (rôle des contes), ces histoires soulèvent des questionnements existentiels. En cristallisant des situations, elles orientent les hommes face à leurs difficultés. Leurs récits offrent « des modèles de comportement humain, ce qui leur permet de donner, par le fait même, un sens et une valeur à la vie. » (Mircea Eliade)
Ces histoires appartiennent à notre inconscient collectif. Transmis de génération en génération, il représente «la sagesse des siècles». Selon le psychiatre Carl Gustav Jung, « nous ne sommes pas d’aujourd’hui ni d’hier : nous sommes d’un âge immense ». Nous héritons d’un bagage inné d’archétypes qui influencent nos comportements, nos pensées et la façon dont nous regardons le monde.
Les rêves sont une porte étroite vers notre inconscient. Un autre passage est peut-être possible en observant les symboles qui se manifestent en nous. Ainsi pourrons-nous, peut-être, allumer une petite lumière dans le puits sans fond de nos êtres.
Sans la stimuler, la réalité se déguise parfois en fictions rocambolesques. Les personnes deviennent personnages. Ainsi se superposent à mon tranquille réel la visite d’un Jésus, l’agression d’un loup, le passage d’un chaperon rouge, la baignade d’un Poséidon, ou la folie d’un Don Quichotte... Habitée par l’ambiance d’un récit qui me revient, je photographie.
De ces expériences découlent deux petits livres Celle qui a été dévorée et Celui qui est né deux fois (réinterprétations du conte du Petit Chaperon Rouge et de la Passion de Jésus).
La déclinaison de ce projet se poursuivra avec le même protocole formel (leporello, cf. page de l'édition).
Ainsi, avec le temps, j’espère constituer un vaste panorama de Celles et Ceux qui peuplent mon / notre inconscient collectif.